Izis enfin délivré de son purgatoire

Publié le par Sarah Leduc

Izis. Le pseudonyme fait son effet et cache aux yeux du grand public un artiste de talent. Derrière le nom de la déesse égyptienne, femme et sœur d’Osiris, se cache Izraelis Bidermanas, un photographe d’origine lituanienne exilé en France, venu chercher refuge dans le Paris de ses rêves, en 1930.

 

L'artiste s'est fait oublier dans l'Hexagone, disparu derrière les monstres sacrés de la photo que sont devenus Brassaï, Cartier-Bresson, Doisneau ou Ronis, avec qui il partageait pourtant l’affiche au MoMa, en 1951, quand le musée d’art contemporain new-yorkais décida de mettre à l’honneur "Five French photographers".

 

Ce relatif anonymat, son ami Willy Ronis le qualifiait d'ailleurs d’"injuste mise au purgatoire". Un avis partagé par Armelle Canitrot, critique photographique et co-commissaire de l’exposition "Izis, Paris des rêves", qui a jugé que le temps était venu d'offrir à Bidermanas une place en pleine lumière. Les 250 photos qu'il a signées, actuellement exposées à l’Hotel de Ville de Paris devrait y contribuer...

 

Plus que foisonnante, l'exposition retrace le parcours photographique d'Izis, de ses premiers portraits de maquisards en 1944 au scoop de l'Opéra de Chagall en 1969. Le visiteur le suit également en Israël, à Londres ou dans le désert de Retz, même si le Paris des années 1930 à 1980 reste le thème central de la rétrospective.

Photographe du hors-champ


Izis partage quelques sujets de prédilection avec ses illustres contemporains : un Paris éternel et atemporel, celui des baisers échangés sur les quais de Seine, des gamins en culottes courtes qui dansent sur les pavés parisiens et des classes populaires dont le portrait a maintes fois été tiré après-guerre.
 
Mais à la différence d'un Doisneau, le "Paris des rêves" d'Izis ne dresse pas la carte postale d’une capitale pittoresque. L’artiste, discret, garde une "petit musique personnelle". "Il n’a pas l’espièglerie d’un Doisneau, il n'a pas l'engagement politique d'un Ronis, il n'a pas l'intellectualisme d’un Cartier-Bresson, confirme Armelle Canitrot. Izis, lui, est dans le rêve."
 
Ses vingt ans de reportages photos pour Paris Match ne lui ont pas fait perdre son regard décalé. Ce solitaire atypique, qui détonne parmi les flambeurs de la rédaction, va là où "il ne se passe rien". C'était moins l'événement qui l’intéresse, que le hors-champ qui l’entoure. Du couronnement de la reine d’Angleterre, en 1953, il ne ramène aucune photo de la souveraine... uniquement des clichés de la foule. De même, quand il photographie le cirque, ce n'est pas tant l'arène qu'il passe au crible de son objectif, mais les spectateurs.
 
"Inconsolable mais gai"
 
Celui qui se voyait peintre préfère, dans ses œuvres, recomposer un monde poétique plutôt que de sombrer dans un réalisme pur. Ses clichés mettent en scène un univers aux accents mélancoliques peuplé de dormeurs, de vagabonds, de pêcheurs à la ligne ou d'âmes solitaires… Autant de doubles - un peu tourmentés - de l'artiste, qui font écho à son spleen.
 
D’aucuns y verront un reflet de sa propre histoire. Juif lituanien né en 1911 à Marijampolé, Izraelis Bidermanas a perdu ses parents, son frère et toute sa famille pendant la Shoah. Après avoir lui-même échappé de peu aux nazis, il débarque à Paris à 19 ans sans un sou, où, travailleur clandestin, il est exploité dans des laboratoires photographiques.
 
"Inconsolable mais gai", c’est à "L’Hurluberlu" d’Anouilh que Manuel Bidermanas, fils du photographe et co-commissaire de l’exposition, emprunte l’expression avec laquelle il décrit son père. "Izis était un homme angoissé, hanté par son passé […]. On peut dire qu’il était désespéré, même s'il restait capable de voir la beauté", ajoute-t-il.
 
Une beauté qu'Izis a toujours recherché dans le quotidien, comme dans les moments magiques de la création. Portraitiste des écrivains et des artistes de son époque, il s'est lié d’amitié avec Colette et Chagall, dont il a essayé de capturer le souffle d’inspiration. Fasciné par le monde du cirque, il a également capturé les clowns tristes et esseulés de cette tragi-comédie sous chapiteau. Autant de clichés qui constituent, aujourd’hui, son autobiographie.

Publié le 30 janvier sur France24.com
 

Publié dans Culture

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